, L’artiste Ben, orfèvre de l’écriture, est mort

L’artiste Ben, orfèvre de l’écriture, est mort

, L’artiste Ben, orfèvre de l’écriture, est mort

Il se disait héritier à la fois de Marcel Duchamp et de John Cage. « Je dois au premier la conviction que tout est Art. Absolument tout. Si Duchamp n’avait pas été là, jamais je ne serais devenu artiste », confiait-il. Au second, tout à la fois musicien et poète, Ben disait avoir emprunté une manière de « se débarrasser d’une partie de son ego en acceptant de laisser une place centrale au hasard ».

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L’artiste Ben a été retrouvé sans vie chez lui, le 5 juin 2024, quelques heures après le décès de sa femme, Annie, victime d’un accident vasculaire cérébral le 3 juin. « Ne voulant et ne pouvant pas vivre sans elle, Ben s’est donné la mort », a précisé la famille dans un communiqué représentant les deux époux s’embrassant sur deux photos prises en 1972 et en 2010. 

Né le 18 juillet 1935 à Naples, Benjamin Vautier laisse derrière lui une œuvre de près de 12 000 peintures, principalement composées de formules lapidaires tour à tour sentencieuses et humoristiques, mais aussi de sculptures empruntant à l’art brut. Avec lui disparaît l’un des derniers compagnons de route du mouvement Fluxus qui promouvait un art iconoclaste et ludique : loin du formalisme des académies.À LIRE AUSSI « Je peux régler la quasi-totalité des problèmes du monde »

« Je hais les artistes petits-bourgeois », plaisantait-il. Ben était pourtant issu d’une famille on ne peut plus bourgeoise. Du côté de sa mère, Janet Giraud, d’origine occitane, ses aïeux avaient quitté la France, à la veille de la Révolution française, pour s’installer à Smyrne. C’est dans cette ville qu’ils avaient fait fortune dans le commerce de tapis et de fruits secs. « Ce qui n’empêchait pas ma mère d’être une rebelle, prêchant des idées communistes », expliquait Ben.

Son père, Max-Ferdinand, né dans le canton de Vaud, était le petit-fils du peintre Marc Louis Benjamin Vautier (1829-1898) célèbre jusqu’en Russie pour ses représentations du monde paysan. Ses parents s’étaient séparés quand il avait cinq ans. Son enfance, en raison de la guerre, avait été itinérante. Il avait d’abord grandi à Izmir (nouveau nom de Smyrne) où il avait appris le turc puis déménagé à Alexandrie et Lausanne. Polyglotte (sa mère avait insisté pour qu’il aille dans une école primaire anglaise et son père lui parlait allemand), le jeune Ben avait atterri à Nice en 1949.

L’art est partout

En 1952, au sortir du lycée, peu désireux de poursuivre ses études, Ben avait ouvert une librairie où il vendait aussi des disques. Ses rencontres avec les artistes Arman, César et Martial Raysse, qui formeront l’École de Nice le conduiront à transformer sa boutique en galerie. « Comme eux, j’ai voulu faire de l’art », résumait-il.

Ben pense alors avoir découvert un motif délaissé par ses prédécesseurs. « Après avoir fait un scrupuleux inventaire des formes artistiques épuisées par mes prédécesseurs, je m’étais rendu compte que personne ne s’était vraiment intéressé à la banane », expliquait-il de sa voix douce où se laissait deviner un léger accent levantin. « Si j’ai abandonné la banane, c’est à cause d’Yves Klein qui m’a expliqué que cela ne constituait que du sous-Marcel Duchamp », poursuivait-il d’un air goguenard avant de pouffer.

Théorie du choc

Rire. Telle était la grande affaire de Ben. Et il y excellait. Ne se prenant pas au sérieux, il s’amusait à plaisanter de tout. Avec tout le monde. Fasciné par le mouvement lettriste lancé par Isidore Isou au début des années 1950, l’artiste s’était mis à couvrir des ardoises d’écolier d’inscriptions rédigées de manière enfantine. Comme une blague. Mais cette manière de faire allait vite constituer « sa patte ».

Dans les années 1950-1960, Ben multiplie les interventions dans la rue. Il se promène nu, avec un os autour du cou, balaie le trottoir en présentant cela comme un happening, se met en scène en train de manger du boudin (alors qu’il déteste ça), transforme les passants en « sculpture vivante » ou s’approprie les objets et animaux qu’il croise en les signant. Il appose son autographe sur des trous, des tas, des poules et même Dieu (en paraphant une balle de ping-pong, « car si Dieu est partout, il est aussi dans cette balle », justifiait-il). Dans le même esprit, il signe également ses deux enfants : Éva-Cunégonde et François Malabar, nés respectivement en 1967 et 1970.

Graffitis et inscriptions

Convaincu que l’artiste doit secouer les consciences, il théorise un art de la provocation. Sur la colline Saint-Pancrace, Ben transforme sa maison en musée à ciel ouvert. Derrière un portail toujours ouvert, le jardin est encombré par un sacré foutoir. Un cheval de plâtre semble vouloir sauter par-dessus la haie, une tête de rhinocéros est accrochée à la façade, un nain géant arbore le même look que le plasticien (un short maintenu par des bretelles, portées à même la peau).

Des pancartes invitent le visiteur à faire des expériences pour « se sentir vivant » : « Attendez la nuit et regardez la lune », ordonne-t-il. « Faites un trou, enterrez vos chaussures, repartez pieds nus », « Vendez-moi votre âme » ou « Regardez-moi, cela suffit », intime-t-il à ceux qui pénètrent chez lui. Justifiant d’un « je me sens seul », sa démarche qui vise à toujours rassembler autour de lui une bande de joyeux drilles.

Les inscriptions qu’il multiplie sont moins naïves qu’on ne le pense. Malgré leur graphie en lettres rondes, elles n’ont rien de puéril. « Je ne les comprends pas toujours, mais elles donnent à penser », émettait Ben dans un sourire énigmatique quand on lui demandait de les commenter.

Premiers succès

Une grande bâche orne la façade de sa boutique du 32 rue Tonduti-de l’Escarène, rebaptisée laboratoire 32 : « L’art est inutile, rentrez chez vous. » Ben s’amuse à invectiver ses clients. Parce qu’« il faut tout oser », l’artiste fait flèche de tout bois. Trente ans avant l’invention d’Internet, il crée une newsletter recensant ses formules (du « maill-art », rigole-t-il) et vend les points noirs qu’il s’extrait du nez. Piero Manzoni n’a-t-il pas commercialisé ses propres excréments au prix de l’or en 1961 ? En 1969, il se scotche le visage couvrant à la fois ses yeux, sa bouche et ses oreilles. « Je ne vois rien, je ne dis rien, je n’entends rien. C’est de l’art contemporain », lit-on sur un écriteau à ses pieds.

En 1974, le centre Pompidou lui achète ses premières œuvres. Ben ferme sa boutique. Des dizaines de grandes institutions se mettent à le collectionner. Mais l’artiste ne roule pas sur l’or pour autant. Taraudé par le doute, il échafaude théorie sur théorie. Convaincu par l’anthropologue François Fontan que les idiomes constituent l’épine dorsale des identités nationales, il promeut l’idée qu’il faut redessiner les frontières des pays pour que chaque nation corresponde à un bassin linguistique. Cela donnera lieu à un atlas ethnolinguistique, intitulé La Clef. L’artiste semble convaincu que ce redécoupage du monde apportera la paix.

Fuir l’ennui

Ben avoue se méfier des mots. Son rêve serait de « ne pas parler ». Même s’il est conscient qu’il lui est impossible de se taire. « Je suis un incorrigible “bav’art” », écrit-il en référence au Traité de bave et d’éternité d’Isidore Isou. Au début des années 1990, lassé de tirer le diable par la queue, Ben accepte, de lancer une collection de T-shirts, mais aussi une ligne d’articles de papeterie (cahiers, agendas et trousses) couverts de certaines de ses formules. Ses détracteurs lancent des cris d’orfraie. L’artiste n’en a cure. Il expose désormais dans le monde entier. Mais il reste adepte de blagues de collégiens.

Pour sa première exposition à New York, il envisage ainsi d’emmener ses invités, en car, au fin fond d’une forêt à 40 kilomètres de Manhattan et de les abandonner là en pleine nuit. « Je regrette que le chauffeur s’y soit opposé », explique-t-il. Le garnement participe à une croisière de l’art contemporain où il rêve de jeter par-dessus bord les collectionneurs.

Pour fuir l’ennui, Ben se tourne vers l’enseignement. Il aime se confronter à la jeunesse. Découvreur de Robert Combas et Hervé di Rosa, deux Sétois pour qui il forge le concept de « Figuration libre » et met un point d’honneur à être à la hauteur de son leitmotiv : « Je peux tout me permettre. » Toujours à la pointe du progrès, Ben avait participé à l’aventure des radios libres à la fin des années 1970, il crée un site Web en 1996. Les images chargent lentement ? Ben apostrophe les visiteurs de sa plateforme Internet d’un : « Soyez patient. La Bible n’a pas été downloadée en un jour. » Ben prend alors la pose du patriarche et prétend vouloir lever le pied. « Il y a des jours, l’art me fatigue », feint-il de se plaindre.

Immortel

« Je prends du bide. Appelez-moi Big Ben », soufflait-il, au soir de sa vie, furieux de voir que son corps le lâcher peu à peu. Ces dernières années, il s’était prêté de bonne grâce au jeu des rétrospectives où il répétait quelques-unes de ses formules fétiches. Parmi elles ? Les artistes doivent « accoucher de la vérité », parler à la fois à celui « qui crie, qui vit, qui pleure ». C’est du moins ce qu’il avait écrit en lettres blanches sur une chaise obstétrique qu’il avait repeinte en noir.

Le 16 avril 1963, l’artiste avait couché sur le papier, une modeste feuille volante, une profession de foi : « Je, soussigné, Ben Vautier, considère ma propre mort comme une œuvre d’art. » Il vient de parachever son œuvre, complétant ici ce qu’il avait conçu, dès le 6 juin 1962, à la faveur du décès d’Yves Klein : « Avec mes respectueux hommages et sincères condoléances dans la dure épreuve qui vous est imposée, je vous rappelle que même la mort contient une belle et grande réalité […]. Je me permets donc, en toute humilité, de signer sa mort qui me peine et préparer déjà la résurrection dans les esprits. »


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