Corrèze : des soignants vent debout contre la venue d’un patient surnommé « le cannibale
S’opposer à l’accueil d’un patient « à la dangerosité potentielle évidente et avérée ». Depuis le début du mois de juin, c’est la démarche, singulière, entreprise par le personnel d’un service de psychiatrie de l’hôpital de Brive-la-Gaillarde, en Corrèze. En effet, les membres du personnel redoutent le possible transfert, dans leur établissement, d’un patient au lourd passé criminel.
En 1997, monsieur B. a éventré un passant dans une rue de Brive-la-Gaillarde. Condamné, en 2000, à trente ans de réclusion criminelle, il tue, en 2004, son codétenu de la maison centrale de Saint-Maur (Indre), et mange sa cervelle à la petite cuillère. Surnommé « le cannibale », l’homme d’« une taille imposante » et d’« une force musculaire très développée », comme le précisent les membres du service hospitalier dans un courrier de quatre pages adressé, au début du mois, à leur direction, purge depuis lors sa peine à l’hôpital.
Jusqu’alors pris en charge dans plusieurs unités pour malades difficiles (UMD) – dont la dernière au centre hospitalier du Pays d’Eygurande, en Corrèze –, il pourrait être transféré, en juillet, vers un service jugé plus souple : les soins intensifs de psychiatrie (SSIP) du centre hospitalier Henri-Laborit, à Brive-la-Gaillarde. Une perspective qui « soulève de nombreux questionnements et une inquiétude certaine au sein de la quasi-totalité du personnel du service », comme indique la lettre que Le Point a pu consulter.
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« On ne fait pas des métiers faciles… »
Parmi les arguments des membres du personnel qui pourraient l’accueillir, les « moyens humains et matériels » dont dispose l’établissement. « L’équipe paramédicale est composée de trois infirmiers en journée et d’un(e) infirmier(e) et un(e) aide-soignant(e) durant la nuit », et « il arrive régulièrement qu’en cas d’absence, des personnels non formés et/ou habitués à l’exercice en psychiatrie soient amenés à les remplacer », arguent-ils. Ajoutant que le service dans lequel ils exercent est « petit » et amène les patients « à passer leurs journées dans des espaces exigus ». Un élément, estiment-ils, « déclencheur majeur de frustration et de déstabilisation majorant le risque de passage à l’acte ».
« Ce service est inadapté à ce genre de malade », soutient ainsi, auprès du Point, un représentant CGT de l’hôpital. Il souligne la proximité de l’établissement avec le centre-ville. « S’il veut fuguer, c’est à moins de dix minutes. Notre grillage fait trois mètres, c’est de la rigolade… », tout en insistant sur l’ « appréhension légitime » du personnel quant à son accueil. « Même en chambre d’isolement, il faut bien y entrer… Et s’il veut en découdre ? » projette-t-il. « Vous savez, on ne fait pas des métiers faciles… »
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« Si la commission médicale de l’unité pour malades difficiles dans laquelle se trouve le patient [systématiquement renforcée de plusieurs psychiatres externes à l’établissement, NDLR] a formulé un avis positif à son transfert, on peut supposer son état comme relativement stabilisé », tempère le docteur Jean-François Paul, responsable de l’interface psychiatrie-justice du SPH (Syndicat des psychiatres des hôpitaux). Il précise que l’accueil des patients en unité pour malades difficiles (UMD) se veut « temporaire ». « Il peut, dans de rares cas, durer plusieurs années. Mais il est courant que les patients, s’ils ont évolué en termes cliniques, se voient orientés vers des unités de psychiatrie générale. »
Un cas « symptomatique »
Ce cas, « au-delà de sa dimension locale », n’en demeure pas moins « symptomatique », expose le médecin. D’une « fébrilité » d’abord : « Si les praticiens du public ont le devoir de prendre en charge tous les patients et de ne pas les résumer à leurs actes passés, la nature du crime n’est pas sans effet. Le cannibalisme, transgression d’un tabou social, nous heurte dans nos valeurs et peut provoquer peur et rejet… »
D’un « malaise plus général » aussi, celui de « l’hôpital public » et de la psychiatrie en particulier. « Les budgets alloués sont insuffisants et certains établissements sont amenés à réduire leurs effectifs ou peinent à recruter du personnel – de plus en plus réticent à y exercer –, les amenant à assumer leurs tâches avec difficulté. Ce qui pose problème dès lors que des patients nécessitant un suivi particulier y sont accueillis… », rappelle Jean-François Paul.
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« Nous soumettons par cette lettre la question de la responsabilité dans le cas où une agression physique d’une extrême violence, voire un troisième meurtre, survienne au sein de notre service sur l’un de nos patients, l’un de nos collègues ou nous-mêmes », écrit ainsi, sans équivoque, le personnel dans sa missive. L’ARS, le préfet de Corrèze, Étienne Desplanques – à qui reviendra la décision finale de ce transfert –, et la députée de la deuxième circonscription de Corrèze, Frédérique Meunier, ont été ajoutés aux destinataires.
Une « alerte » que l’élue a « prise très au sérieux » et fait « remonter », le 9 juin dernier, au ministre des Solidarités et de la Santé, François Braun. « Je lui ai dit que ce transfert était irresponsable », confie-t-elle au Point. « Il est de ma responsabilité de protéger nos concitoyens et je refuse que l’on dise que l’on n’aura rien vu venir ou s’en tienne à une minute de silence si un drame advient ! » exprime-t-elle, avec nervosité.
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À la préfecture de Corrèze, on tente d’apaiser les esprits. Sans rien promettre. « Le préfet examinera attentivement la situation de monsieur B. […] en tenant compte des impératifs médicaux et des conditions de sécurité, en lien avec l’autorité judiciaire », indique-t-on, sobrement. Une commission se tiendra, ce vendredi 23 juin, pour statuer du transfert ou non, du patient.
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