Artistes agressés en plein concert : pourquoi cette violence

Si ces débordements ne sont pas neufs, c’est leur fréquence qui inquiète. Billie Eilish a réagi au micro du « Hollywood Reporter » : « Je me fais frapper sur scène avec des objets depuis six ans, littéralement, je ne sais pas pourquoi c’est nouveau. Les gens s’excitent et cela peut être dangereux. J’ai des sentiments mitigés à ce sujet, parce que lorsque vous êtes là-haut, ça explose », a-t-elle expliqué.

Un effet de mode ?

Depuis toujours, des objets volent sur scène. Mais les fleurs, sous-vêtements et autres peluches jetées en symbole d’admiration ont laissé place à des actes d’une nature différente. 

Ariana Grande, après avoir reçu un quartier de citron sur la poitrine sur la scène de Coachella en 2019 avait gardé pour elle la dernière note de sa chanson : « C’est parce que l’un d’entre vous m’a jeté un citron, merde. » Fin juin, Pink a reçu une roue de Brie de Meaux alors qu’elle assurait une date à Londres. Si certains offrandes cachent une touche d’humour – subtile à cerner – d’autres se retrouvent être à l’image des intentions cachées derrière le geste : désireuses d’ébranler l’artiste.

En juin dernier, l’Américaine Bebe Rexha recevait un téléphone portable dans le visage. Hospitalisée, elle a écopé de trois points de suture et la peur de s’afficher sur scène sans que son regard ne soit caché derrière une paire de lunettes. Son assaillant, lui, s’est vanté d’avoir réussi sa mission : « J’essayais de voir si je pouvais la frapper avec le téléphone à la fin du spectacle parce que ce serait drôle. » Twitter lui avait, semble-t-il, dicté cette stupide entreprise.

Le rôle des réseaux sociaux

Les réseaux sociaux signeraient-ils la fin du discernement de la société ? Kalhan Rosenblatt, spécialiste de la jeunesse et de la culture d’Internet a réagi au micro de « NBC » en évoquant la multiplication de comportements dangereux dans les salles de spectacle, la plupart influencés par les réseaux sociaux. Jouer des coudes pour se faire repérer ou encore pour capturer les meilleures vidéos, explique-t-elle, est un moyen pour ensuite s’afficher sur les réseaux. Sans oublier cette douteuse tendance à se filmer soi-même, beuglant les paroles d’une chanson et fixant sa propre caméra, plutôt que lever les yeux et ouvrir les oreilles pour s’immerger dans le show.

À ce titre, la salle de spectacle deviendrait le terrain de mise en scène d’un fort égocentrisme et d’une volonté de s’afficher en permanence. Il semblerait qu’il soit plus satisfaisant pour certains de se savoir – et de se montrer – au dernier concert plutôt que d’en apprécier sa substance. La musique n’a plus qu’à s’incliner.

La communication

Pendant près de deux ans, il était impossible de se rendre dans des salles de concert, pandémie oblige. Faute de s’exprimer sur scène, les réseaux sociaux ont joué un rôle majeur dans la communication. L’impression de distance avec l’artiste s’est étiolée. Avec un message privé  sur Instagram, Twitter, ou tout autre plateforme dédiée à la communication, le fan peut entrer en contact avec son artiste rapidement et directement.

Le mythe de la star s’est estompée et la relation n’en semble que plus réelle. Dans les colonnes du « Los Angeles Time », Carla Penna, psychologue des foules, explique qu’avec « le soutien des médias sociaux sans limites, la distance réelle ou fantasmée entre le fan et l’artiste a diminué ». Puisqu’il investit son temps et son argent auprès d’un artiste, il se trouve dans son juste droit de prétendre à d’autres services.

Exemple où en Corée du Sud, les artistes se prêtent au jeu des fancalls – démultipliés depuis la crise du Covid – où au détour d’une courte communication vidéo, ils s’entretiennent avec des fans aux quatre coins du monde. Ces derniers temps, des demandes émanant des fans – et refusées par les artistes – ont soulevé cette même question, à savoir : est-ce que l’artiste doit tout à son fan sous prétexte qu’il lui est dévoué ?

Et maintenant ?

On connaît la communion qui unit un artiste et son public. Donnant donnant, l’artiste délivre et la foule reçoit. Debout face à des dizaines, des centaines, des milliers de paires d’yeux, la vulnérabilité de l’artiste est à son paroxysme. L’effet des foules – positif ou négatif – est puissant. Et ces derniers agissements pourraient fissurer la confiance nécessaire dans laquelle il se doit d’être enveloppé dès qu’il pose un pied sur scène. Questions de confiance qui le suivent au delà du simple cadre de l’exercice scénique.

Pour contrer cette tendance virale de l’artiste assujetti au bon vouloir de son public, la parole des principaux concernés s’élève pour apaiser les envies de se faire remarquer. Puisqu’il est impossible de contrôler les intentions de tout un chacun, ne reste plus qu’à s’en remettre à l’espoir que demeure le bon sens commun.