ART – Un artiste Modì

Tout commence un été, il y a exactement 100 ans. Un jeune toscan quitte Paris pour revenir au soleil de la Méditerranée. Certains en sont déjà convaincus, le jeune homme a tout pour devenir un grand artiste. L’été 1909, à Livourne, il a déjà recommencé à sculpter. Entre autres, des têtes en pierre. Il a 25 ans et son nom deviendra célèbre : Amedeo Modigliani

Il y a 25 ans
Il y a 25 ans, le canular des fausses têtes fait le tour du monde. Cette histoire appartient à un labyrinthe incroyable d’intrigues internationales, de suspects, de secrets et de rivalités. En 1976, un certain Zachary Stone l’avait déjà imaginé dans un livre, publié à Londres. « The Modigliani scandal« est l’histoire fascinante d’une ?uvre attribuée à Modigliani. L’?uvre est fausse. Comme faux est le nom de l’auteur. Il masque l’identité d’un jeune écrivain encore inconnu: Ken Follett.
Il faudra attendre l’été 1984 pour vivre une intrigue encore plus passionnante que celle-ci. L’histoire démarre au moment ou Livourne s’apprête à célébrer en grande pompe le centenaire de la naissance de l’artiste toscan. La fille de l’artiste et de Jeanne Hébuterne, Jeanne Modigliani, ne saura jamais rien de la suite. Perplexe quant à la découverte qu’on lui avait annoncé, en juillet 1984 elle décide de partir de Paris pour se rendre à Livourne et essayer de comprendre… Le 27 juillet, on la retrouve, évanouie, aux pieds des escaliers de son appartement. Jeanne Modigliani meurt, quelques heures après, à l’hôpital.
Mais rien n’arrête la fièvre de l’excitation qui grimpe dans le monde entier. Elle va alimenter un des plus effarants canulars de l’art contemporain. Vera Durbé, la conservatrice du Musée d’art moderne de Livourne et l’héroïne de cette histoire, est encore bien loin de s’en douter et, bien au contraire, savoure son succès qui est aussi, dans ses intentions, une formidable revanche contre tous ceux qui ne l’ont jamais appréciée.

A l’occasion des 25 ans de ce canular, Lepetitjournal de Toscane vous propose ce récit, écrit par un journaliste français dont le nom appartient un peu à cette affaire, car – comme celui d’Amedeo Modigliani ou de Ken Follett au début de cette histoire – il n’est pas encore célèbre : Alexis Conquet.

Vera Durbé et son artiste « Modi »

Soir d’été 1909, le sculpteur Amedeo Modigliani se promène le long du Fosso Reale, canal aux eaux limoneuses qui traverse la ville de Livourne. Allure désinvolte, la langue un peu râpeuse et les traits tirés, l’artiste, insatisfait par son manque d’inspiration, dit adieu à ses sculptures…
Au fil des années, la légende gonfle et les tristes « Modi »sont devenus de véritables chefs d’?uvres. Amedeo Modigliani meurt le 24 Janvier 1920 à Paris, alimentant le mythe.
Au début de l’été 1984, son génie est reconnu aux yeux du monde entier. Vera Durbè, la conservatrice du Musée d’art moderne de Livourne entend célébrer en grande pompe le centenaire de la naissance de l’artiste toscan.
Ainsi, elle ordonne la fouille du fameux canal du Fosso Reale et n’attend que quelques jours pour connaître son heure de gloire. Sous les flashs des photographes, les dents d’aciers enrobées de caoutchouc de la pelleteuse ramènent 3 têtes sculptées. Les experts sont unanimes, le doute n’est pas permis, elles sont si vraies, si majestueuses. Sous le comble de l’émotion, certains se laissent aller à des redondances lyriques « 

Ces ?uvres sauvées des eaux sont fondamentales pour Modigliani et la sculpture contemporaine ».
Il s’en suit un déchaînement médiatique : la presse et les télés américaines se précipitent, les visiteurs affluent des cinq continents pour venir voir la découverte miraculeuse.
Mais au beau milieu de la fête, le scandale arrive, par l’intermédiaire de l’hebdomadaire « L’Europeo ». Il publie une interview accompagnée d’une photo désormais célèbre où 3 jeunes étudiants posent en compagnie de « Modi 2 ». Dans l’entretien, les garnements expliquent qu’ils ont eux mêmes sculpté la tête à l’aide d’une perceuse Black&Decker pour monter ce canular. Accusés de mythomanie par le monde de l’art, ils font la démonstration en direct devant les caméras de la télévision nationale. Discrédités, les spécialistes désormais surnommés dans toute l’Italie « experts à expertiser« se rabattent sur les deux autres têtes…. Hélàs, il s’avère qu’elles sont l’?uvre, d’un docker du port de Livourne, artiste à ses heures perdues : « Je voulais montrer à quel point, dans le monde de l’art, l’effet médiatique et l’autorité des soi-disant experts peuvent aisément faire prendre des vessies pour des lanternes »dira-t-il.

Sous le regard amusé des Italiens, les larmes de Vera Durbé continuent d’alimenter le Fosso Reale …

Alexis Conquet (lepetitjournal.com/Toscane) Mardi 18 Aout 2009
photos : Le Vernacoliere (journal de Livourne) annonce la decouverte;le livres et deux sculptures (crédit Lpj.Toscane)